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Agrocarburants : l’embrouille…

Journal d’Audaces - Mars 2007

jeudi 15 mars 2007, par Natalie Gandais

Faut-il boycotter le diesel vert ?

Aujourd’hui, « grâce » au gouvernement qui privilégie le développement des biocarburants en fixant un objectif de 10% d’incorporation dans les carburants utilisés en France à l’horizon 2015, on peut trouver au supermarché du diesel « verdi » à 5% d’huile végétale (de colza ou tournesol). Faut-il s’en réjouir ?

Ce serait bien tentant pour les Verts qui font la promotion des énergies renouvelables en substitution au pétrole et au nucléaire. Si la France renâcle à développer les renouvelables, au fil des « chocs pétroliers », les convergences entre les intérêts écologistes et les intérêts économiques ont quand même permis d’engranger des petites victoires, avec ici et là des chaufferies au bois déchiqueté, l’installation de panneaux solaires dans les bâtiments publics, et même des bus qui roulent à l’huile de friture recyclée. Et la Confédération paysanne soutient le développement de la filière courte Huile végétale pure pour que les agriculteurs, eux-mêmes producteurs d’huile, puissent économiser le fuel (et ses taxes…) en utilisant leur propre production d’huile pour faire rouler les tracteurs.

Mais ce plan français ambitieux, dont les premiers bénéficiaires sont les gros céréaliers et tournesoliers subventionnés, qui prévoit de brûler des productions habituellement destinées à l’alimentation pour faire rouler les voitures de M’sieur-Dame Toulemonde, pose un nouveau problème, et il faut aujourd’hui entendre l’avis des « gens » concernés.

La Confédération paysanne, d’abord, qui dénonce les agro-carburants comme une « fausse bonne solution », notamment parce que les terres agricoles, en France, déjà réquisitionnées à d’autres fins (infrastructures routières, urbanisme, matériaux de construction), n’y suffiraient pas, et que les cultures à vocation carburant viendraient concurrencer les cultures à vocation alimentaire.

Mais surtout, de nombreuses ONG sud américaines s’élèvent aujourd’hui contre les objectifs de l’Union européenne qui souhaite atteindre 5,75% d’incorporation de biocarburants en 2010. Parce qu’elles savent que l’Europe envisage aujourd’hui d’atteindre cet objectif en s’approvisionnant… chez eux.

Ces organisations sud américaines sont en effet échaudées par l’historique des importations de l’Union européenne en matière d’aliments pour le bétail. De très vieux accords, qui datent de l’après guerre, du Plan Marshall et des débuts du GATT, et qui avaient pour but d’écouler les surplus américains de tourteaux de soja, empêchent toujours l’UE de produire ses propres protéines végétales pour le bétail, et la demande pressante de l’UE s’est reportée sur l’Amérique du Sud, qui nous fournit aujourd’hui, au prix de la déforestation, de l’expulsion des paysans, de l’OGMisation des cultures et des pulvérisations de pesticides sur la population, les protéines qui nourrissent les porcs et autres volailles en batterie qui alimentent nos cantines et supermarchés en viande à bas prix. L’UE, en 2001, au moment de la crise de la vache folle et de l’interdiction des farines animales, alors qu’elle avait l’opportunité et un « motif » de revenir sur ces accords, et de développer sur son propre sol les cultures de lupin, pois et autres légumineuses, a préféré augmenter encore ses achats de tourteaux de soja.

Donc, bien que nous soyons « pour » remplacer le pétrole par des carburants issus de la biomasse, nous devons nous bagarrer pour empêcher d’augmenter la pression environnementale et sociale sur les pays du Sud, nous devons nous bagarrer pour que l’Europe, à l’image du Canada par exemple, innove dans la production de carburants à base de paille ou de bois, issus de « chez nous ». Et surtout, n’oublions pas que la meilleure façon d’économiser le carburant, c’est de rouler moins, moins seul et plus collectif.