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12 juillet 2012 - Politis n° 1211
Le grand gavage des poubelles
Dossier - Gaspillage alimentaire : STOP
mardi 31 juillet 2012, par
J’ai raconté à Patrick Piro comment Plaine centrale propose une alternative végétarienne à chaque plat carné et lutte ainsi contre le gaspillage en restauration scolaire.
Gaspillage alimentaire, l’ampleur du scandale
Enfin, on parle plus ouvertement du gaspillage
alimentaire. Les rapports officiels se multiplient,
les campagnes de sensibilisation se développent.
Ce n’est pas le moindre scandale qu’une telle
verrue soit restée si longtemps occultée par les
pouvoirs publics : alors que les prospectives se préoccupent
de savoir si la Terre pourra nourrir neuf milliards d’humains
en 2050, que les firmes biotechnologiques poussent les
gouvernements à autoriser les OGM pour prétendument
accroître les rendements, nos sociétés tolèrent tranquillement
la lamentable performance des circuits de l’agroalimentaire :
30 à 50 % de pertes et de gaspillage, du champ à l’assiette !
C’est le consommateur qui paye, à son insu. Le manque à gagner
induit par la mise au rebut d’aliments chez les producteurs, les
transformateurs et les distributeurs est intégré dans le prix de
vente final des produits en magasin. Incité en permanence à la
surconsommation par le marketing de la grande distribution,
le particulier gaspille lui-même beaucoup à domicile – une
charge de plusieurs centaines d’euros par an sur son budget.
Les pays riches, pour garantir leur autonomie alimentaire,
ont bâti des agro-industries prospérant sur une injonction :
produire, produire, produire. Si une date limite de consommation
chasse l’autre, c’est parfois moins par précaution sanitaire
que pour entretenir le rythme d’obsolescence souhaité
par le commerce. Logique qui pousse le gâchis à proliférer
jusqu’à l’obscène. Dans le même temps, piocheurs de
poubelles et autres glaneurs de rue se voient parfois
interdire la récupération de produits consommables décrétés
« déchets », par crainte des ventes qui se perdent.
Le grand gavage des poubelles
Du champ à l’assiette, un tiers des aliments produits finissent
à la benne. Les particuliers sont parmi les premiers concernés.
50 000 tonnes d’aliments
en moyenne sont
jetés chaque jour
en France.
Peut-être avez-vous un jour vécu cette
expérience marquante : arrivé en fin
de service au restaurant de votre entre
prise, vous sentez les agents de net
toyage qui se pressent déjà derrière votre pas
sage. Dans la seconde qui suit, les salades de
fruits qui restaient sur le présentoir finissent
dans un sac-poubelle. Vous venez de visuali
ser la frontière qui transforme en un éclair un
aliment parfaitement sain en déchet.
Tous les jours, le couperet opère en France sur
près de 50 000 tonnes d’aliments en moyenne,
à divers stades de la chaîne, du producteur
au consommateur, de la pomme de terre
biscornue écartée lors du tri chez l’agricul
teur au reste de frites de votre repas.
Des quantités considérables. Au total, le
tiers de toute la production alimentaire est
jeté, et parfois même plus. Des
enquêtes menées depuis quelques
années aux États-Unis, en Grande-
Bretagne, en Belgique, en Suède et
plus récemment en France tombent
toutes sur des résultats similaires.
En mai 2011, la FAO produisait
une importante synthèse plané-
taire évaluant les pertes et gaspillages alimen-
taires dans les différentes grandes régions du
monde (1) (voir carte p. 23). Sans surprise, on
y relève d’énormes quantités d’aliments jetés
dans les pays industrialisés – jusqu’à 300 kilo-
grammes par habitant (kg/hab) chaque année
aux États-Unis, à tous les stades de la chaîne
d’approvisionnement.
Moins attendu : les pays pauvres affichent
aussi d’importantes pertes, 170 kg/hab par
an en Afrique subsaharienne, soit, là encore,
près de 30 % de la production totale
d’aliments destinés à la consomma-
tion humaine. En cause pour l’es-
sentiel : de mauvaises conditions de
stockage et de transport, ou encore
des processus de transformation peu
efficaces. Moins de 7 % des pertes
cependant sont enregistrées à l’éche-
lon des foyers : dans ces contrées où la pro-
portion de personnes sous-alimentées est la plus forte au monde, les familles connaissent
la valeur d’un bol de millet.
C’est pratiquement l’inverse dans les pays
industrialisés : alors que la chaîne de pro-
duction, de transport, de transformation et
de stockage est bien plus performante que
dans les pays du Sud, un tiers des pertes et
des gaspillages trouvent leur origine dans
les réfrigérateurs, les cuisines, les assiettes.
Selon la FAO, en Amérique
du Nord, où l’on produit
en moyenne 900 kg/hab de
denrées comestibles par an,
il s’en jette 120 kg à l’étape
de la consommation – repas
à la maison, cantine, restau-
ration collective (cantine scolaire ou d’en-
treprise), restaurants, dans la rue... Un peu
moins en Europe (100 kg, dont environ 40 kg
dans les foyers), et vingt fois moins dans les
pays les plus déshérités d’Afrique subsaha-
rienne (où les quantités de nourriture pro-
duites par habitant sont deux fois moindres
qu’en Occident).
Ce gaspillage alimentaire s’effectue dans
l’ignorance la mieux partagée du monde :
90 % des personnes n’auraient aucune notion
des quantités qu’elles jettent, affirmait en
2008 une autre enquête de la FAO. Ce qui a
incité la Fédération France nature environ-
nement (FNE) (2) à lancer, début juin, une
campagne de sensibilisation des particuliers,
appuyée par un décorticage du contenu ali-
mentaire de nos ordures ménagères (voir gra-
phique p. 22). Celui-ci interroge nos modes de
vie, notre gestion des achats
et du réfrigérateur ainsi que
notre rapport à la nourri-
ture. Aux trois quarts, le
rebut alimentaire provient
de denrées devenues péri-
mées (ou jugées comme
telles) : fruits et légumes délaissés, barquettes
« oubliées », produits à demi consommés,
pain rassis... Le dernier quart est constitué
de restes de repas.
En cause, nos modes
de vie, notre gestion
des achats, notre
rapport à la nourriture.
En Europe, les
foyers jettent
environ 40 kg
de denrées
comestibles par an
et par habitant.
En restauration collective, le gaspillage
est institutionnalisé par des pratiques peu
remises en question. Une enquête menée en
2011 par la Ligue de l’enseignement sur
les 13 000 repas quotidiens servis dans
les cantines scolaires de la communauté
d’agglomération de Plaine centrale du
Val-de-Marne (Alfortville, Créteil, Limeil-
Brévannes) a montré que l’on jetait 37 %
de la viande, 39 % des desserts et 60 % du
pain ! Une analyse approfondie identifie plu-
sieurs causes à cet énorme gaspillage.
« Concernant la viande, nous avons constaté
que de plus en plus d’enfants n’y touchaient
pas », constate notamment Natalie Gandais,
responsable d’un groupe de travail sur l’ali-
mentation à Europe Écologie-Les Verts, et
très impliquée à Plaine centrale. L’explication
tiendrait à certaines options religieuses
(interdiction du porc, mode d’abattage du
bétail) mais aussi à la médiocre qualité de
certains produits.
La communauté d’agglomération a réagi avec
des mesures simples. Par exemple, pour le
pain, les portions sont plus petites et com-
plétées à la demande. Dès la rentrée de sep-
tembre, la cuisine centrale va vivre une petite
révolution, avec, pour le plat principal, deux
choix : viande, poisson ou œuf, ou alors une
association de céréales et de légumineuses,
équivalentes en termes de protéines. Par
ailleurs, les achats privilégieront la qualité des produits. Avec un effort particulier porté
sur les aliments bios et issus d’exploitations
locales, ainsi que sur le commerce équitable
de temps à autre.
Une bataille plus politique a également été
menée pour bousculer le dogme du repas « à
cinq composantes » – entrée, plat protidique,
légumes, fromage et dessert. « Ce modèle,
soutenu par les lobbies agroalimentaires,
est globalement trop riche, explique Natalie
Gandais. C’est une source importante de
gaspillage, accentuée par la pression mise
sur les enfants pour qu’ils terminent leur
repas dans les délais. » La cuisine centrale
expérimente des repas à quatre composantes,
qui pourraient bientôt être servis jusqu’à
quatre fois par semaine.
Le budget et les tarifs de restauration reste-
ront inchangés : la communauté d’aggloméra-
tion fait le pari que la limitation des volumes
jetés couvrira les surcoûts éventuels. Parmi
les gains pour la collectivité, l’économie des
coûts de traitement des déchets, à raison de
115 euros environ la tonne d’ordures ména-
gères incinérée.
La lutte contre le gaspillage, si elle se généra
lise, pourrait modifier les prospectives agroa
limentaires à l’horizon 2050, quand la popu-
lation mondiale comptera environ 9 milliards
d’habitants : l’impératif d’accroissement de
la production mondiale d’aliments, soutenu
par les firmes chimiques et biotechnologiques
(plus d’engrais et de pesticides, recours aux
OGM), pourrait être remis en cause.
Outre une réduction des rebuts alimentaires,
la substitution d’une partie des rations carnées
par des plats végétariens ira dans le même
sens : il faut jusqu’à sept fois plus de surface
agricole pour produire une calorie animale
qu’une calorie végétale.
Patrick Piro
P.-S.
Les photos des pages de l’article, avec les illustrations.
- Couverture du dossier de Politis
- Dossier de Politis, page 1
- Dossier de Politis, page 2
- Dossier de Politis, page 3
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