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Alimenation, santé, inégalités - Un jeudi de l’écologie à Arcueil - 14 avril

Intervention d’Edwige Fadeieff

Vice présidente de Plaine centrale du Val de Marne Chargée de la restauration collective

vendredi 15 avril 2011, par Edwige Fadeieff

Depuis 2001, je suis chargée de la restauration collective sur l’agglomération Plaine centrale (Alfortville, Créteil, Limeil-Brévannes). Nous avons une cuisine centrale, en régie directe et liaison froide, et servons 13 000 repas par jour pour les écoles, les centres de loisirs et les seniors. Ma démarche est de favoriser la sécurité et la qualité alimentaire, et d’introduire des produits de l’agriculture biologique dans les menus. Quel rapport avec ce débat sur les inégalités sociales de santé liées à l’alimentation ? Il y en a plusieurs.

D’abord, les cantines sont un lieu d’éducation à l’alimentation, c’est un des endroits, avec la cuisine familiale, où se forme le goût des enfants et où s’enracinent les habitudes alimentaires. Par exemple j’ai bagarré pendant tout le premier mandat, pour qu’on bannisse les frites et les produits trop gras ou trop sucrés.

Nous avons aussi à Plaine centrale, le souci d’éduquer les parents aux bonnes pratiques. Pour cela nous éditons chaque trimestre une revue, Gourmands Gourmets, dans laquelle nous proposons des recettes, des articles sur les produits alimentaires, et des éditos qui traitent des produits bios, du commerce équitable, de la pyramide alimentaire (nous avons par exemple reproduit un schéma de Christian Remesy, chercheur à l’ INRA), de la consommation des produits de saison, du bilan carbone des aliments, de l’usage des protéines végétales, notamment dans ce qu’on appelle les « cuisines du monde », ces cuisines traditionnelles où l’essentiel des apports protéiques viennent des céréales et des légumineuses. Un des principes de base en restauration collective pour parvenir à introduire des produits bio, qui sont chers, c’est de chercher à remplacer la viande par des protéines végétales, pour abaisser les coûts. Il faut beaucoup de pédagogie pour y arriver !

Moi-même, je suis très intéressée par tout ce qui touche à la nutrition, je suis convaincue qu’on n’a pas besoin de plusieurs portions de laitages par jour, qu’on trouve le calcium aussi bien dans les légumes secs, le persil, légumes et fruits en général, qui s’additionnent tout au long d’une journée … Mais ces convictions sont difficiles à faire admettre par les personnels de la cuisine centrale, le directeur, le cuisinier, les diététiciennes, dont leur formation leur a enseigné un certain nombre de principes difficile à bousculer.

En particulier, les diététiciennes ont deux livres de chevet : le PNNS et le GEMRCN qu’elles suivent à la lettre, en étant convaincues de faire pour le mieux.

Le PNNS, c’est le Plan National Nutrition Santé, un document relativement connu, du Ministère du même nom, qui est mis à jour tous les deux ou trois ans. C’est là qu’on trouve les 5 fruits et légumes par jour, les recommandations « manger bouger »….

L’autre document de référence, c’est une publication du Ministère de l’économie et des finances, la Recommandation relative à la nutrition du 4 mai 2007, du Groupe d’Etude des Marchés de Restauration Collective et de Nutrition, le fameux GEMRCN. Document qui aujourd’hui est une recommandation, mais que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet, qui mets en œuvre le Programme national pour l’alimentation (PNA) (un troisième document de référence) prévoit de rendre obligatoire. Le décret d’application qui devait sortir au début de l’année a été remis à plus tard, parce qu’un certain nombre de collectivités ont protesté qu’elles n’étaient pas en mesure de le mettre en application.

C’est dans ce document de « recommandations » qu’on trouve les tableaux de composition des repas, les mesures de diminution des sucres et des graisses, mais aussi l’exigence d’un produit laitier par repas, c’est là qu’est indiqué que pour satisfaire les apports en fer, on doit consommer toute une variété de viandes et abats, c’est là qu’il est écrit « plat protidique = plat avec de la viande, entière ou sous forme de hachis, saucisse etc... Il faut aller fouiller dans le lexique pour finir par lire qu’un plat protidique peut aussi être un plat principal à base de protéines végétales.

Le point le plus dur de ma bagarre pour introduire les produits bio, c’est donc cette question de remplacer une partie des protéines animales par des protéines végétales. Comment contourner ou interpréter les textes de recommandations ? Comment inciter les diététiciennes à remettre en cause leur savoir et ce qu’elles ont appris pendant leur formation ?

Heureusement, je viens de découvrir qu’un jeune chercheur en sciences de l’éducation, Paul Scheffer, a fait un travail de master intitulé « L’influence de l’industrie agroalimentaire dans le domaine de la nutrition et la place de l’esprit critique dans la formation des diététiciens », qui commence à circuler dans le milieu des diététiciennes scolaires, et qui est une très bonne critique des directives du PNNS et du GEMRCN. Je souhaiterais vivement que la commission Santé et le groupe de travail sur le programme puisse l’inviter à nos universités d’été ! Et je vais demander à nos services de Plaine Centrale de se rendre aux « Journées de la nutrition critique » qu’il organise les 27 et 28 mai à Paris 8, à Saint-Denis.

Enfin, nous avons récemment ouvert une autre piste pour l’introduction des protéines végétales : de plus en plus d’enfants refusent de consommer de la viande. Jusque là, on offrait des escalopes de volaille en remplacement du porc aux enfants qui mangent « sans porc », mais avec l’émergence des enfants qui mangent « sans viande » (44 % actuellement sur plaine centrale), je vais en profiter pour inciter les diététiciennes à proposer des alternatives végétariennes : je ne veux pas que nous fassions comme d’autres cantines qui remplacent la viande par des œufs de poules en batterie ou du poisson pas cher, issu du raclage des fonds océaniques et de la surpêche, souvent surgelé ou pané de moindre qualité.

En conclusion, je dirais que donner aux enfants le goût des plats végétariens, c’est un service à leur rendre, du point de vue de leur santé, mais aussi du point de vue de la lutte contre les inégalités sociales de santé liées à l’alimentation, parce que ça leur donne l’habitude de consommer des plats de bonne qualité nutritionnelle peu coûteux. C’est un service à leur rendre lorsqu’ils seront autonomes !